Les versets terrestres
Un Poème de Forough Farrokhzad
Traduit du Persan par Mohammad Rajabpur
Alors
Le soleil se refroidit
Et l’abondance s’en alla des terres.
Les arbustes séchèrent aux déserts
Et les poissons moururent aux mers
Ensuite la terre ne reçut plus les morts.
Dans toutes les fenêtres affadis,
La nuit faisait rage et se rebellait
Comme une chimère méfiante sans arrêt;
Et les routes abandonnèrent
Leurs bouts dans le noir.
Personne ne pensa plus de l’amoure;
Personne ne pensa plus de la gloire;
La vanité naquit ;
Le sang sentait l’opium et le chanvre indien;
Les femmes enceintes donnèrent naissance
Aux bébés décapités ;
Et les berceaux se réfugièrent dans les tombes
D’un air penaud.
Le pain avait vaincu
S’échappèrent des lieux saints
Et des abris de Dieu;
Et les agneaux perdus de Jésus
N’entendirent pas le chant funèbre du pasteur
Dans l’étonnement du désert.
Selon toute apparence,
Dans les yeux des miroirs,
Les mouvements, les couleurs, et les images
Se reflétaient en sens inverse;
Et une auréole sainte et lumineuse
Brûlaient comme un parasol en flammes
Au-dessus des têtes des clowns méprisés
Et au-dessus des visages repoussants des prostituées.
Les marais d’alcool,
Dégageant des vapeurs méphitiques et toxiques,
Tirèrent dans leur profondeur
La masse immobile des intellectuels;
Et les souris nuisibles
Mâchonnèrent les pages dorées des livres
Conservés dans les caisses anciennes.
Le soleil fut éteint, et Demain
Fut une idée vague et perdue
Dans les têtes des enfants.
Ils dessinaient l’étrangeté
De ce mot obsolète
Avec une tache noire
Les gens,
La bande renversée des gens
Déprimés, sidérés, et épuisés,
Erraient en exil
Sous le poids néfaste de leurs cadavres ;
Et le désir douloureux du meurtre
Se gonflaient dans leurs mains.
Parfois une étincelle insignifiante
Tout d'un coup, de l'intérieur
Brisa cette société silencieuse sans vie;
Ils s'attaquaient,
Les hommes se coupaient la gorge
Avec un poignard,
Et dans un lit de sang
Ils dormaient avec
Ils furent obsédés par la terreur
Et le sens effrayant du péché
Avait paralysé
Leurs âmes aveugles et stupides.
Toujours pendant l'exécution
Quand la corde suspendue sortait
Les yeux convulsifs d'un détenu
Ils étaient perdus dans leurs pensées
Et leurs nerfs vieux et fatigués
Ces petits assassins debout
Regardant fixement
La chute constante des fontaines.
Peut-être encore
Derrière les yeux écrasés
Au milieu du froid
Il était resté
Quelque chose de faible et de demi-vivant
Qui dans son effort essoufflé
Voulait croire
En l'innocence du chant des eaux.
Peut-être, mais quel vide infini!
Le soleil était mort
Et personne ne savait
Le nom de cette triste colombe
Qui a échappé aux cœurs
Oh, la voix emprisonnée
La majesté de ton désespoir
Peut-elle jamais pénétrer
Dans la lumière
À travers cette nuit dégoûtante?
Oh, la voix emprisonnée
La dernière voix des voix ...